Pour sa première réalisation, l'acteur met en scène son histoire, tout en brouillant les pistes.
Guillaume Gallienne va mieux. Tous ses amis vous le diront. Même sa mère, Melitta, ne le reconnaît plus. «Elle dit que je suis vraiment moi-même aujourd'hui», explique l'acteur et désormais réalisateur de 41ans, au fil des innombrables interviews qu'il a données pour assurer la promotion de son premier long-métrage, Les Garçons et Guillaume, à table! Ou l'histoire désopilante de… Guillaume Gallienne, depuis son enfance dans la bonne société parisienne jusqu'à la rencontre avec Amandine, coloriste de tissus avec qui il partage aujourd'hui sa vie.
Ce premier film sur le charme pas si discret de la bourgeoisie, tiré du one-man-show qu'il s'était composé et qui lui a valu le molière de la révélation théâtrale en 2009, «l'a libéré de la forte dualité qu'il portait en lui», avance un de ses plus anciens camarades, le père Elisée, un prêtre orthodoxe. «Après avoir enrichi des tas de psys, je gagne de l'argent en parlant de ma vie au cinéma», avoue le pauvre gosse de riche en plissant ses yeux malicieux. Et de reconnaître qu'il trimballe un sacré «dossier», tout entier contenu dans le titre Les Garçons et Guillaume, à table!: «Pour exister auprès de ma maman que j'adore, je ne devais pas intégrer la masse anonyme des garçons composée de mes quatre frères. Il me fallait donc être une fille», explique-t-il aujourd'hui sous ses dehors de Brummel.
Le 16octobre 2013, rue de Valois à Paris, Madame mère assiste à la remise des insignes d'officier de l'Ordre des arts et des lettres au troisième de ses quatre fils qu'il lui arrive encore d'appeler «ma chérie». Veste carmin, grosses perles clippées sous un brushing blond-roux, à la mode du village d'Auteuil, elle semble émue. Mais ce n'est ni l'endroit ni le moment de montrer tout le tempérament slave dont, selon son rejeton, cette héritière de l'aristocratie russe peut être capable. «On sent quand même qu'ils sont encore très proches», remarque un témoin de la cérémonie. Le même croit Melitta Gallienne assez embarrassée par le succès de son fils. Pas facile d'être la pièce maîtresse du «dossier»!
De son enfance dans le XVIearrondissement, l'acteur se souvient de la fascination qu'exerçait sur lui sa mère, «fille d'une princesse géorgienne qui n'a jamais porté son titre». Et de l'éducation très stricte qu'il a reçue. Jamais ses frères et sa demi-sœur, née d'un premier mariage et disparue il y a peu d'un cancer, ne prenaient le repas au salon en compagnie de leurs parents. «On véhicule beaucoup de clichés sur les beaux quartiers, mais je peux vous dire que ce n'était pas évident de vivre dans nos familles», témoigne l'animatrice Julie Andrieu qui le connaît depuis ses 17ans. Selon elle, le goût de la représentation de son ami s'est joué là. «Le salon, c'était sa toute première scène. Et il la vivait intensément depuis les coulisses», analyse-t-elle.
À 10ans, Guillaume Gallienne, pensionnaire chez les frères des écoles chrétiennes à Passy-Buzenval, ne s'aime pas. Il déteste son corps, ses cheveux, cette voix qu'il corrigera plus tard avec acharnement. En quête d'identité, il tente de ressembler à sa mère. Ce «nul en sport» l'imite, histoire de se démarquer de ses frères et de ses congénères qui lustrent leurs mocassins Weston. Son jeu préféré? Se déguiser en Sissi impératrice.
Ce n'est pas le père qui, comme dans son film, le trouve un jour avec un couvre-lit noué à la taille comme une crinoline, mais son frère aîné, David, aujourd'hui directeur d'une société immobilière. «Dès le plus jeune âge, Guillaume s'est créé sa propre mythologie. Personne ne peut dire s'il a vraiment vécu les scènes qu'il décrit et il en joue. Sa force, c'est d'avoir fait de sa fragilité le terreau de sa meilleure expression», juge encore Julie Andrieu. Dans la bouche de l'acteur-réalisateur, cela se traduit par une phrase prononcée avec un accent snob: «Oui, je me suis toujours fait des films.»
Difficile d'identifier la part de comédie dans cette existence portée à la scène et à l'écran. Les termes qu'il utilise à propos de son père ne sont pas toujours élogieux. Disparu en 2009, l'homme d'affaires issu de la bourgeoisie protestante lui a donné le goût de la littérature et de la danse. «Il faut se tenir, s'y tenir et tenir», la devise paternelle ne tolérait pas les mauviettes. En ce père très sportif et bon vivant, quoique autoritaire et cultivé, le fils voit un «flambeur».
Pas un foudre de guerre
Afin de ne pas le décevoir, Guillaume Gallienne, bachelier à 17ans, poursuit ses études d'histoire jusqu'à la maîtrise tout en s'inscrivant dans l'un des plus célèbres cours de théâtre parisiens. François Florent se souvient de l'arrivée de ce «jeune homme frêle» dans son établissement. Il apprécie vite sa délicatesse, sa courtoisie surannée. «Mais on ne le distingue pas d'entrée comme il nous arrive de nous emballer pour une ingénue rarissime ou une cylindrée fellinienne», explique-t-il. Alors professeur à Florent, le sociétaire de la Comédie-Française Éric Ruf regarde intrigué cet acteur soumis à des injonctions contradictoires. Le mélange des genres, encore et toujours chez Guillaume Gallienne qui cite Jacqueline Maillan ou Valérie Lemercier parmi ses acteurs favoris. Et Grease comme premier souvenir de cinéma.
Le fils Gallienne semble n'avoir jamais fini de roder le spectacle de son existence. «Lors d'un dîner, il y a une quinzaine d'années, il s'était mis à raconter dans le détail une des meilleures scènes du film, celle avec le masseur. Cela avait duré plus de trente minutes. Il accompagnait son récit de larges gestes, c'était à mourir de rire. Toute cette histoire était déjà quelque chose de très construit chez lui», se souvient l'un de ses amis journalistes. Olivier Meyer lui met le pied à l'étrier. Après avoir vu l'hommage de Gallienne à Catherine Samie au Français, le patron du Théâtre de l'Ouest parisien, à Boulogne, lui offre une carte blanche pour raconter les épisodes de sa vie. On connaît la suite. Le triomphe sur les planches, l'engagement par Canal+ dans les «Bonus de Guillaume» jusqu'au cinéma.
Extrapolation
L'acteur à l'ego joliment dimensionné reprend en ce moment Un fil à la patte au Français, maison qui lui apporte un cadre mais dont il se plaint souvent, condamnant notamment l'administration générale de Muriel Mayette-Holtz. Sur la scène Richelieu, Gallienne incarne avec la même aisance Miss Betting, la nurse, et Chenneviette, le pique-assiette. Ou Oblomov, l'aristocrate léthargique de Gontcharov. À en croire le metteur en scène Jérôme Deschamps, il veut tout jouer. L'acteur assure avoir pourtant changé. Le temps commencerait chez lui à «patiner son besoin du paraître» pour reprendre l'expression de François Florent. Voire.
Et l'amour justement? «À 20ans, je savais qu'il voyait des hommes, confie une de ses amies. Mais il n'était pas heureux. Ou du moins pas vraiment épanoui, coincé par son éducation.» Jusqu'à ce qu'il rencontre Amandine. Un coup de foudre. Comme dans une comédie romantique. Il clame à qui veut l'entendre sa passion pour sa femme et leur fils, Tado (un prénom géorgien), âgé aujourd'hui de 5ans, à qui il ne parle qu'en anglais. «Avec elle, il s'est posé. Il s'est dit qu'il tenait un vrai truc important», admet Julie Andrieu pour qui Guillaume est «toujours dans l'extrapolation, avec des avis très tranchés». Il n'aurait d'ailleurs pas vraiment changé depuis ses 17ans. Elle garde le souvenir d'une soirée où il leur fallait rentrer de Port-Royal jusqu'à leur XVIenatal. «Alors, bras dessus, bras dessous, nous nous sommes mis à entonner à tue-tête la chanson de Maxime LeForestier, “Toi le frère que je n'ai jamais eu”. Cette nuit-là, je suis devenu son frangin, conclut-elle. Et j'ai pris la mesure de son malaise.»